Les 4 étapes de l'apprentissage de Celine Fouquet.



Céline Fouquet, Docteure en neurosciences, a développé une approche structurée de l'apprentissage qui met en lumière les mécanismes fondamentaux du cerveau pour optimiser la mémorisation et surmonter les obstacles. Son ouvrage, "Les neurosciences au service de la pédagogie – Comprendre et activer les leviers de l’apprentissage et les clés de la mémorisation", explore en détail ces processus. Bien que le livre ait été initialement conçu pour les enseignants du primaire travaillant avec des enfants de 4 à 12 ans, ses principes sont totalement adaptables et pertinents pour la formation des adultes et des apprenants de tout âge.


L'apprentissage, selon Fouquet, consiste à modifier durablement notre mémoire en y ancrant des informations liées à une expérience vécue, ce que les neurosciences désignent par la création d'une "représentation". Une représentation est un réseau de neurones qui s'active en réponse à une expérience. Plus ce réseau est activé, plus les chemins neuronaux deviennent faciles à réactiver, à l'image d'un sentier qui se dégage dans une forêt à force d'être emprunté.
Céline Fouquet articule l'apprentissage autour de quatre étapes fondamentales qui décryptent le circuit logique par lequel se construisent les connaissances. Ces étapes, issues de la "théorie du cerveau statisticien" et des recherches en neurosciences (notamment celles de Stanislas Dehaene, dont les piliers sont complémentaires et inclus dans cette approche), sont conçues pour être parlantes à l'apprenant et rendre les mécanismes concrets.



1. Prédire

L'étape de la prédiction est le point de départ de tout apprentissage. Notre cerveau agit comme un "statisticien" permanent, percevant constamment les informations de notre environnement et formulant des hypothèses ou des inférences basées sur nos observations et nos connaissances antérieures. Il anticipe la suite d'une situation ou la réponse à une question, éliminant les probabilités faibles et renforçant les hypothèses cohérentes avec la réalité. Cette capacité d'anticipation est innée et présente dès le plus jeune âge.
Au niveau cérébral, plusieurs réseaux sont mobilisés pour la prédiction, notamment ceux liés à la mémoire autobiographique et à la production de connaissances. L'hippocampe joue un rôle essentiel en participant à l'encodage, à la consolidation des informations et à la détection de la nouveauté. Il agit comme un "hub" qui active d'autres régions cérébrales pour une performance optimale.
Un concept clé lié à la prédiction est la "théorie de la surprise". Le cerveau est naturellement plus attentif et mobilise davantage de ressources neuronales lorsque ses prédictions sont contredites par la réalité, c'est-à-dire quand il y a une différence entre ce qui est attendu et ce qui se produit. Une situation inattendue ou surprenante déclenche une plus grande activité neuronale, ce qui est un puissant moteur d'apprentissage et un levier pour capter l'attention des élèves.
D'un point de vue pédagogique, il est crucial de stimuler le questionnement et la curiosité des apprenants. Laisser les aprenants explorer librement, émettre des hypothèses et faire des essais multiplie les occasions d'apprentissage. Le "paradoxe de la pédagogie explicite" montre qu'une démonstration trop explicite et précoce peut brider l'exploration de l'apprenant, lui faisant croire qu'il n'y a rien d'autre à découvrir. Le langage joue également un rôle fondamental en lui permettant  de décrire et de raconter ses actions, ce qui structure sa pensée et clarifie ses prédictions. Les inférences, basées sur l'observation et les expériences, sont enrichies par des expériences multisensorielles, maximisant l'impact sur la mémorisation à long terme.

2. Se Tromper

L'erreur est un levier fondamental et pivot de l'apprentissage. Chaque fois que notre prédiction est erronée, notre cerveau génère un "signal d'erreur". Ce signal n'est pas simplement une constatation d'échec, mais la différence entre ce que nous avions prédit et la réalité. Sans ce signal d'erreur, il est difficile d'apprendre.
Sur le plan neurologique, plusieurs signaux spécifiques sont observés lorsque nous faisons une erreur :
• Un signal très rapide (entre 80 et 200 millisecondes) appelé ERN (Error Related Negativity), détecté au niveau du cortex cingulaire antérieur, indique une détection rapide de l'erreur.
• Un signal plus lent, appelé Pe, est corrélé à une erreur consciente et active le cortex pariétal (zone de l'attention).
• Un troisième signal, observé dans les minutes qui suivent, active l'hippocampe, jouant un rôle dans la consolidation de l'erreur en mémoire.
Ces activations montrent que l'erreur est un processus cognitif complexe qui mobilise attention, mémoire de travail et mémoire à long terme. Le système de détection d'erreur, impliquant le cortex cingulaire antérieur, le cortex préfrontal et l'hippocampe, s'active chaque fois qu'il y a une contradiction entre la prédiction et la réalité.
Il est crucial que ce signal d'erreur soit détecté et utilisé. Une erreur non repérée ou non corrigée peut s'ancrer dans notre mémoire à long terme comme une vérité, devenant un modèle implicite d'autant plus difficile à corriger qu'il est répété. Le sentiment d'avoir réussi ou échoué impacte directement la mémorisation et la motivation. De plus, plus la surprise liée à l'erreur est forte (par exemple, être sûr à 100 % d'une réponse et se tromper), plus l'apprentissage est consolidé. Inversement, si la prédiction était incertaine (par exemple, 70% de certitude) et que la bonne réponse est obtenue, l'apprentissage a tout de même lieu car le cerveau corrige sa prédiction, augmentant ainsi le niveau de certitude pour la prochaine fois.

3. Se Corriger

Le signal d'erreur, bien qu'essentiel, n'est utile que si l'apprenant est capable de le détecter, de le comprendre et de s'y ajuster. Pour que l'apprentissage se produise, il faut non seulement faire l'erreur, mais aussi avoir la capacité de la corriger. Le cerveau utilise ce signal pour ajus-ter ses modèles internes et réorienter l'attention.
La rapidité de la correction (rétroaction ou feedback) est primordiale pour l'efficacité de l'apprentissage. Une rétroaction immédiate permet au cerveau d'associer l'information à une émotion, à un état affectif ou à un souvenir, favorisant ainsi l'encodage de l'erreur et aidant à ne pas la reproduire. Si le retour est trop tardif, le cerveau aura du mal à l'encoder en apprentissage.
La capacité à se corriger soi-même implique l'activation de zones du réseau fronto-latéral, directement impliquées dans la planification, la mémoire de travail et la prise de décision. Un feedback est d'autant plus efficace s'il est rapide, s'il mobilise la mémoire et les expériences vécues, s'il est durable et s'il est perçu comme une information et non comme une punition ou un jugement sur les capacités. Il est essentiel de formuler un feedback explicite et constructif.
Le rôle du formateur est de faire en sorte que l'erreur soit perçue comme une tentative ou une hypothèse, et non comme un échec. Il doit expliquer aux élèves pourquoi ils se sont trompés et ce qu'ils pourraient faire différemment. La métacognition, c'est-à-dire la capacité à s'auto-réguler et à comprendre son erreur, est essentielle pour corriger efficacement et anticiper les erreurs futures. Les erreurs commises toujours de la même façon, sans correction ou explication, sont d'autant plus difficiles à corriger.

4. Répéter

La répétition est la dernière étape cruciale du cycle d'apprentissage pour une mémorisation durable et un ancrage profond des informations. Répéter renforce les connexions neuronales, les rendant plus rapides et plus stables, et permet d'améliorer la prédiction, d'affiner le modèle interne et de consolider l'apprentissage. C'est ce qui permet, à terme, l'automatisation des connaissances.
Cependant, toutes les répétitions ne sont pas équivalentes. Il est important de distinguer :
• Les répétitions massées (ou "bachotage") : une répétition intense sur une courte période. Bien que cela puisse être efficace pour un examen immédiat, la rétention à long terme est faible car le cerveau n'y voit pas d'intérêt durable. Rester trop longtemps sur la même information désactive les neurones par manque de nouveauté.
• Les répétitions espacées (ou "apprentissage distribué") : laisser passer du temps entre les sessions de révision. C'est la méthode qui produit les ancrages les plus forts et favorise une meilleure mémorisation à long terme.
L'espacement permet au cerveau de bénéficier de la consolidation pendant le sommeil, où il "rejoue" les scènes de la journée et sélectionne les éléments importants à conserver. Cela permet également l'oubli de certains éléments non essentiels, ce qui paradoxalement renforce la consolidation de ce qui est pertinent. En répétant à intervalles de plus en plus longs, le cerveau interprète que l'information sera utile à l'avenir.
Pour une rétention à long terme (par exemple, six mois à un an), revoir le contenu un mois après l'apprentissage initial peut augmenter substantiellement la mémorisation. La clé n'est pas d'augmenter la quantité de travail, mais de répartir différemment le contenu dans le temps, par exemple en gardant 20% du contenu pour une réactivation plus tardive (une semaine ou un mois plus tard selon l'objectif de rétention). Les "capsules de mémorisation", consistant à revenir ponctuellement sur un contenu déjà vu, sont également très efficaces.
La répétition dans des contextes variés favorise la "généralisation" et la "mémoire flexible", permettant à l'apprenant de mobiliser ses connaissances sans effort dans différentes situations. C'est ce processus qui permet, par exemple, de faire du vélo ou de conduire sans y penser. Cette plasticité est favorisée par l'attention, la motivation et les émotions positives.